Ruth Bess a toujours été une personne volontairement effacée et discrète qui préférait s’exprimer au travers de ses gravures plutôt que par la parole. Parmi toutes les coupures de presse qui parlent de son oeuvre, nous constatons que les journalistes et critiques n’ont pas souvent eu l’occasion de recueillir ses mots en direct et donc les retranscrire. A l’occasion de cet événement, à l’âge de 76 ans, elle livre un peu d’elle-même en langue espagnole au commissaire de l’exposition José Ignacio Herrera…
« La connaissance poétique du monde précède, comme il est juste, la connaissance raisonnable des objets. Le monde est beau avant d’être vrai. » Gaston Bachelard
« Dans les œuvres originales de Ruth Bess, présentées aujourd’hui au public par le Musée des Beaux-Arts, se dévoile la vision rêveuse d’un monde fantastique dans lequel les fleurs et les animaux s’intègrent harmonieusement. Ses tatous de rêve peuvent à la fois voler comme des pigeons ou devenir des tournesols, se tenir debout comme des tours qui évoquent le monde africain ou tourner silencieusement comme les girouettes en papier de notre enfance. Les formes dynamiques se mêlent à des images lyriques ou humoristiques, l’imaginaire s’anime et transmet des vibrations de paix et de joie.
Cependant, ces images, qui semblent naître d’une grande spontanéité, sont en fait le produit d’un travail lent et patient dans lequel l’artiste, avec une grande habileté, sculpte son paysage intérieur dans le cuivre. Puis, peu à peu, les formes géométriques délimitées par les traits de l’artiste, sont ensuite mordues par l’acide et surgissent sur ces plaques, pour créer un espace tridimensionnel. Ensuite, quelques feuilles de papier humides, moulées sur la plaque sous la presse, transmettent ces traces douces et complexes dans lesquelles les formes gonflent ou s’enfoncent, formant un délicat réseau d’images en relief.
C’est l’univers de Ruth Bess que l’on perçoit dans les 17 gravures exposées au Cabinet de Dessin et de Gravure du Musée des Beaux-Arts, vision complétée par l’interview réalisée par le commissaire de l’exposition, José Ignacio Herrera. Nous sommes heureux d’exprimer notre gratitude à Pepsi Cola et Cinematografica Blancica, pour leur généreux parrainage de ce catalogue, ainsi qu’ à Sofia Nino, responsable de la rédaction des textes, et Emilio Herrera, qui l’a mis en page avec beaucoup d’amour. »
Elisabeth Lizarralde, directrice du Cabinet de Dessin et de Gravure.
« Converser avec Ruth Bess est quelque chose de spécial. Il y a quelques années, Omar Mouzakis a écrit un article sur elle dans la presse et l’a intitulé: « Ruth Bess: une carapace de silence et de timidité pour se réfugier dans son talent ( El Universal Caracas 14 mai 1982). » Titre très réussi puisque Ruth, en parlant, retient les mots, et bien qu’il y ait aussi ses gestes et son regard transparent qui nous aident un peu à nous informer, c’est grâce à ses gravures que nous avons pouvons transpercer la «carapace»; nous découvrons toute cette imagination et cette créativité qui, alliées à la profonde maîtrise de la technologie, construisent son travail.
Dans la série de gravures qui sont exposées aujourd’hui dans le cabinet de dessin et d’estampe, nous pouvons découvrir un monde unique peuplé de tatous et de grandes feuilles de la flore tropicale, vu non comme un objectif de recherche scientifique mais comme une observation sensible de ses textures et couleurs, évoquant des expériences du toucher et de la vue.
L’art de Ruth ne reproduit pas la Nature dans son aspect familier et logique, mais constitue l’expression d’une fusion spéciale du monde extérieur et de ce qui se passe à l’intérieur de l’artiste en travaillant sur les plaques de métal.
La Nature, dans l’œuvre de Ruth, est régie…
…par ses propres lois. Ainsi, nous voyons comment, fuyant la logique que nous imposons habituellement à tout ce que nous faisons et percevons au quotidien, un tatou peut être une fleur puis former une ronde.
Être «underground» ou construire une tour. Dormir à l’ombre des lotus ou devenir tout simplement le plat du jour comme l’indiquent les titres qui distinguent chaque gravure. La poésie, l’humour et la tendresse participent à la conception d’un monde unique qui se présente comme une parfaite harmonie .L’atmosphère calme qui entoure les gravures de Ruth provient en grande partie de la gamme de couleurs douces et nuancées qui évoquent les textures des feuilles et les carapaces des tatous; ainsi, dans chacune de ses œuvres, l’équilibre est atteint par la disposition des différents éléments qui la compose.
Le maître Hayter a dit que le problème de la gravure était de combiner l’expérience immédiate de cet art technique, pensé et calculé, avec l’expérience de l’imagination. Je pense que l’art de Ruth Bess est…
… un exemple clair de ce que pensait le graveur irlandais aujourd’hui disparu. Dans les gravures de Ruth, nous observons comment le sujet représenté est adapté au médium utilisé. La qualité unique obtenue sur le métal lors du travail avec les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte a permis à Ruth de recréer la substance matérielle de la faune et de la flore que, avec un grand étonnement, elle a découvert sous les tropiques.
Ruth Bess quitte le Venezuela et se rend en France pour établir sa résidence permanente à Paris. L’organisation de cette exposition a coïncidé avec les préparatifs de son voyage imminent, lequel a dû être avancé. Cette interview s’est transformée en une conversation agréable que nous avons eu tout en l’aidant à réaliser le « bon à tirer » d’une de ses estampes. Voici quelques extraits de notre conversation: »
(1): voir lien Johnny Friedlander, (2): voir lien Arthur-Luiz Piza, (3): voir lien Gladys Meneses