Amy Bakaloff Courvoisier vient de partout et va partout: de Bulgarie, de France, de Suisse, du Brésil, du Vénézuéla…en Allemagne, au Japon, au Mexique, en Inde… et ailleurs encore et toujours.
Le 29 juin 1907, à Kyustendil en Bulgarie, naît Amy d’un père bulgare, Gospodin Ivanov Bakalov, et d’une mère française, Aimée Jaquet Courvoisier. Son père, né en 1870, est un juriste.
Pendant la période de l’entre-deux guerre, profitant de la bonne maîtrise de la langue française acquise grâce à sa mère, Amy quitte la Bulgarie pour étudier à Paris: il se forme en droit, en histoire de l’art et en littérature. Il aime communiquer, a le contact facile et s’oriente vers le journalisme. Son entourage appartient au monde de l’art et de la littérature.
Son cercle d’amis proches regroupe des poètes: Paul Eluard, Paul Valéry, André Breton, Georges Hugnet, Jean Cocteau, Robert Desnos…et des peintres, la plupart exilés comme lui: Wifredo Lam, Pablo Picasso, Angel Hurtado, Oswaldo Vigas, Oscar Dominguez, Salvador Dali, Victor Brauner….
Tous tendent vers un « esprit nouveau » , une union du réel et de l’imaginaire qu’on appelle Surréalisme.
Amy le résistant
Nous sommes en 1940, la ville de Paris est occupée par l’armée allemande. Amy entre en résistance sous le pseudonyme de Jean Jaquet.
Cette même année, il publie pour la première fois un recueil de poèmes en langue bulgare: « Terre ronde ». Refusant d’exercer son métier de journaliste à la solde des nazis, il mène plusieurs actions très risquées: la réalisation et la distribution de tracts de propagande anti-allemande, la réception et la cache de postes de T.S.F ainsi que d’explosifs, la mise en liaison avec des groupements patriotiques,
la fabrication de fausses cartes d’identité, la mise à disposition de planques pour les juifs en fuite. En 1943, il entre dans le réseau de résistants « Pavillon noir » dirigé par le lieutenant Guyon et le commandant Ferrel. Il y exerce comme interprète pour aider des évadés alliés russes. Il transmet
des informations politiques et militaires stratégiques comme la position des troupes allemandes sur le front de Normandie, la localisation des entrepôts allemands à faire exploser. Il collabore avec son ami Paul Eluard à la publication semi-clandestine d’un recueil de poèmes en 1942 aux Editions de minuit, « Poésie et Vérité », lequel s’ouvre avec le fameux poème de résistance » Liberté », « ..j’écris ton nom ». Cette année 1942, Paul Eluard adhère au parti communiste, indissociable de la lutte contre le facisme. Ce poème, traduit en dix langues, a été parachuté par la Royal Air Force sur les contrées occupées…
En 1945, Amy publie, avec l’aide de Paul Eluard, son premier recueil de poèmes en français sous le titre de » Sombre est noir », tiré à 232 exemplaires, illustré par une eau forte originale signée et deux dessins de son ami le peintre surréaliste espagnol Oscar Dominguez.
Voici un extrait de ce recueil, aussi sombre que son titre l’indique, car Amy y exprime tout son dégoût de la guerre:
« L’ombre est la nuit Mais la nuit n’est pas l’ombre Le sombre est noir Mais le noir n’est pas sombre
L’horizon est horizon Le ciel est ciel Les oiseaux des oiseaux Et le tunnel est sombre
Le jour n’est pas la nuit Le jour est sombre L’horizon nous sert de tombe Mais il luit
Le tunnel rejette un train L’espoir peut-être » Amy Bakaloff 1945
Il est maintenant nécessaire de faire le lien entre Amy et Ruth Bessoudo, sa future épouse, peut être la personnification de la petite chandelle sur la gravure d’Oscar Dominguez dans la vie d’Amy… Pendant la période de l’entre-deux guerre, Amy et Ruth se sont rencontrés, en Allemagne et à Paris, suite à un échange bilatéral via un groupe franco-allemand dans le cadre de la tentative de réconciliation franco-allemande suite à la Première Guerre Mondiale.
Amy, critique de cinéma au Venezuela
Marqué et démoralisé par la guerre, Amy veut changer d’ambiance et quitter l’Europe déchirée et meurtrie. Il rêve de partir pour le Brésil, mais décide en 1947 sur un coup de tête d’émigrer à Caracas avec Ruth sur les conseils de son ami poète, vénézuélien, Angel Corao. Grâce à son réseau d’amis et connaissances, il y trouve un travail: rédiger des chroniques sur l’actualité du cinéma dans des quotidiens ou des revues.
Bien implanté dans le milieu des réalisateurs, des producteurs et des critiques d’art, Amy contribue en 1951 à la création d’une revue bimensuelle dédiée au cinéma: « Venezuela Cine », pour laquelle Ruth assure la création graphique. Sous son impulsion, le premier ciné-club d’art et d’essai voit le jour dans des salles de cinéma ou de théâtre de Caracas. En collaboration avec le critique d’art et réalisateur français Gaston Diehl, alors nommé professeur détaché par le ministère des Affaires Etrangères au Venezuela, Amy participe à la création du premier Festival du Film au Venezuela. Enfin, en 1955, Amy est engagé par la société Unifrance qui promeut le cinéma français à l’étranger; il devient correspondant délégué d’Unifrance – Film pour l’Amérique latine.
Pendant 10 années, Caracas sera donc le nouveau lieu de résidence d’Amy et Ruth. Ce « port d’attache » est souvent quitté pour de nombreuses escales à travers le monde, au gré des festivals de cinéma. Amy et Ruth, laquelle est devenue attachée de presse, voyagent en avion vers Venise, vers Berlin, vers Cannes tout particulièrement pour y rencontrer des acteurs, des réalisateurs, des producteurs, tous ceux qui font l’actualité du cinéma de l’époque.
Le monde des artistes peintres, des gens de plume se mêle au monde des vedettes du cinéma lors de ces évènements internationaux que sont par exemple le festival de Cannes ou celui de Berlin. Une rencontre en amène une autre, Amy a le don de nouer des amitiés facilement, il est ouvert, curieux, et doué d’une ouverture d’esprit et d’un charme naturel qui lui attire toutes les sympathies.
Son épouse Ruth est plus discrète, plus effacée, mais elle suit Amy partout et profite de ses nombreuses relations pour obtenir des interwiews et faire des photos pour alimenter la revue vénézuélienne » Venezuela Cine ».
Pendant ces dix années à Caracas, un lien particulier s’installe entre le réalisateur Luis Bunuel et Amy Courvoisier. A partir de 1946, Luis Bunuel s’est installé à Mexico. Il a été obligé de quitter l’Espagne pour son soutien à la cause républicaine et ensuite les Etats-Unis, où il avait migré dans un premier temps, à cause de ses sympathies communistes. C’est pour le réalisateur une période de renaissance artistique, notamment en 1951 avec le succès de son film « Los Olvidados » ( « Les Oubliés ») sur les enfants perdus des bidonvilles de Mexico. Ce film reçoit le prix de la mise en scène au festival de Cannes de 1951. Luis et Amy se rencontrent régulièrement dans la maison du réalisateur à Mexico.
Des discussions sans fin s’engagent entre les deux passionnés: sur l’expression cinématographique, sur le Surréalisme, la littérature, la musique, la politique…Jusqu’à la mort de Luis Bunuel en 1983, Amy, où qu’il soit, fera tout pour le rencontrer au moins une fois par an.
Le travail d’Amy pour Unifrance l’amène à choisir un nouveau port d’attache en Amérique du Sud: ce sera Rio de Janeiro au Brésil…
…ce pays qu’il rêvait de connaitre et où il va rester pendant une vingtaine d’années toujours comme délégué Unifrance pour l’Amérique latine.
Amy, le « Carioca »
Eternel voyageur, Amy continue à s’absenter régulièrement à travers le monde pour raisons professionnelles ou privées.
Pendant ses séjours à Rio de Janeiro, son épouse Ruth et lui reçoivent des amis artistes du monde entier mais aussi des brésiliens: l’écrivain Jorge Amado, le compositeur Vinicius de Moraes, le peintre Carlos Scliar et le graveur Roberto de la Monica…entre autres.
Pendant ce temps, Ruth s’est inscrite à l’atelier de gravure du musée d’art moderne de Rio où elle apprend et se perfectionne dans la technique de la gravure en taille douce et y côtoie de nombreux autres artistes graveurs brésiliens.
Amy, dans son recueil de poèmes » Jacaré solitaire », publié en 1979, nous raconte comment l’écrivain Jorge Amado a poussé Ruth sur le chemin de la gravure, domaine dans lequel elle pouvait exprimer son goût pour la nature. Il nous dit aussi la solitude et les joies de Ruth à concrétiser sur les plaques de cuivre ses visions oniriques de ces animaux d’Amazonie qui la fascinent. Amy y exprime sa connivence et son admiration pour Ruth, même si leurs deux caractères sont si différents.
« Le coupable des feuilles des jacarés des insectes
Qui l’aurait cru est Jorge Amado
Le prochain ou futur prix Nobel
Qui a dit à Bess Abandonne le reste
Le cuivre est ton destin Roberto de la Monica
Est mon ami et il sera ton guide… » Extrait de « Jacaré solitaire »
Voyages, rencontres et surtout écriture vont occuper cette période brésilienne. Entre 1960 et 1978, Amy publie 8 autres ouvrages, en plus de « Jacaré solitaire »:
–« Dialogando por el mundo, de Chaplin à Hemingway » aux éditions EDIME, collection Cantaclaro, Madrid 1960:
cet ouvrage regroupe la retranscription des discussions qu’Amy a eu avec des artistes célèbres comme Jean Cocteau, Françoise Sagan, Roberto Rossellini, Serge Lifar, Ernest Hemingway…et bien d’autres.
–« Cinema 7° cielo hoy y ayer », éditions EDIME, collection Cantaclaro, Madrid 1961:
Cet ouvrage est un hommage au cinéma vu à travers quelques acteurs mythiques comme Louise Brooks, Greta Garbo, Giulietta Masina, Charlie Chaplin…
–« Je ne parle pas javanais », éditions Saint Germain des Prés, collection miroir oblique, Paris 1971:
Amy y livre ses aventures autobiographiques en poèmes. Ce recueil, tiré à 40 exemplaires sur vélin d’Arches, est illustré par 2 gravures signées dans la marge de Ruth Bess.
–« Quelques tableaux de ma chambre racontent » éditions Saint Germain des Prés, Paris 1973:
Les tableaux, offerts par ses amis artistes, qu’Amy contemplent chaque jour dans sa chambre, lui inspirent des poèmes. A ce propos, voici « la petite histoire » à l’origine du poème illustrant un pastel du peintre cubain Wifredo Lam…
- « L’espace est désespérément triangulaire
- Le cercle a trois quatre cinq dimensions
- Les lignes atmosphériques s’effritent
- Les lignes octogonales circulent
- La ligne de l’axe s’embrouille
- J’aime la confusion géométrique
- J’aime tout ce qui est sur sur
- Sur-le-champ surprenant
- Sauf la réalité qui s’assied
- Sur qui sur quoi sur sur
- Surréaliste
- Nous étions quatre
- Volant vers le Paradis Perdu
- Conan Doyle avait raison
- Wilfredo poursuivi
- Par une poétesse hystérique
- Et moi bourgeoisement accompagné
- Par ma femme légitime
Le pastel que Wifredo Lam a offert à Amy en 1957, ci-dessus, est illustré par ce poème d’Amy ci-dessus.Il s’agit d’un joyeux souvenir d’une escapade dans le splendide parc naturel de Canaïma au Vénézuela. Wifredo Lam, guidé par Amy et Ruth, découvre la jungle, les montagnes tabulaires, les lacs et les chutes d’eau spectaculaires dans une contrée sauvage peuplée par quelques indigènes qui leur racontent les légendes locales.
–« Terre fumée Patagonie » éditions Saint Germain des Prés, Paris 1974: recueil de poèmes.
–« La flute de cet indien Cochabamba » éditions Saint Germain des Prés, Paris 1976.
-« La poésie aujourd’hui, anthologie » éditions Saint Germain des Prés 1975: collectif de poèmes.
-« Vagabondages, adolescence, n°1 » éditions Atelier Marcel Jullian 1978: revue de poésie, collectif.
Le 2 mars 1978, Amy Courvoisier est nommé chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
A l’âge de 73 ans, Amy prend sa retraite et quitte son poste à Unifrance.
Souffrant, il décide de retourner vers Paris pour s’y faire soigner. Il décède à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 11 avril 1984.
Pour cerner la belle personnalité d’Amy, voici un florilège d’articles de presse et de lettres provenant de son entourage ou écrit par lui-même. Quelques témoignages sincères de son vivant et en son hommage après sa mort….
Et pour terminer, ce petit mot écrit pour Amy par un ami (que je n’ai pu identifier d’après sa signature…si jamais un de mes lecteurs ou lectrices le reconnait…) et qui nous ramène au titre de mon article : Le poète Voyageur
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